Dans la vie, il y a des femmes qui croient en leur rêve et se battent pour le réaliser. D’autres qui attendent passivement qu’on les réalise pour elles. Marie-Louise Outohouri épouse Kamagaté fait partie de la première catégorie. Poussée par son amour pour les enfants et son sens du partage, Mme Kamagaté a tout laissé pour assouvir sa passion, l’éducation et le bien-être des enfants.
Mme Kamagaté, vous êtes fondatrice d’école, manager, coach de développement personnel, écrivaine, fondatrice d’ONG…ce n’est pas un peu trop pour vous seule ?
Non, je ne crois pas. Parce que j’aime ce que je fais. J’ai toujours rêvé de créer ma propre entreprise.
Quel est le parcours qui vous a conduit à être fondatrice d’école ?
J’étais commerciale dans une entreprise de la place, où j’ai été bien encadrée. Mais après 11 ans dans cette entreprise, j’ai voulu vraiment créer ma propre entreprise. Un jour, lorsque j’ai visité une école maternelle, l’idée m’est venue de construire une école maternelle. Parce que j’adore les enfants. Au début, j’ai voulu me consacrer à la petite enfance. Mais les enfants et les parents d’élèves voulaient une école primaire. Donc chaque année je mettais en place une classe du primaire. Et aujourd’hui, j’ai 17 classes du primaire.
Vous n’étiez pas satisfaite de l’entreprise où vous travailliez ?
Vous savez, quand vous êtes manager, c’est quelque chose qu’on ne peut pas étouffer. J’avais des idées, mais je ne pouvais pas les exploiter. Vu que je ne décidais pas, je n’y pouvais rien. Et j’étouffais. Donc, quand le moment est arrivé, j’ai rendu ma démission. Ça n’a pas été facile de démissionner pour se lancer dans sa propre entreprise. Alors que j’avais déjà des charges, mes enfants, et ma famille. Surtout que je n’aime pas trop tendre la main. Je veux être indépendante financièrement. Et il y a aussi que j’aime donner, j’aime partager. Donc, à un moment donné, je ne savais plus comment aider tous ces enfants dans la rue.
Aviez-vous déjà une idée claire de ce que vous alliez faire, avant de démissionner ?
Oui, j’ai démissionné en 2005. Mais bien avant cela, l’école existait déjà depuis 1998. C’était la maternelle à l’époque. C’est donc après ma démission que j’ai ajouté au fur et à mesure des classes. Il y avait 4 niveaux : la crèche, pour enfant à partir de 3 mois, la petite section, la moyenne section et la grande section.
Après la démission, avec quels moyens poursuivez-vous l’entretien de l’école ?
C’était un défi pour moi. C’était la galère qui venait de commencer. C’était dur pour payer mon personnel. Mais j’ai appris beaucoup. Parce que ce n’était pas facile. Vous pouvez avoir des amis qui vont vous fuir. Vous pouvez avoir des gens qui disent qu’ils vous aideront et à la dernière minute, ils vous lâchent. Donc vous tournez dans tous les sens. Vous ne dormez pas. Et un jour, j’ai fait un rêve dans lequel le Président de la république m’a donné 10 millions FCFA. A l’époque c’était Guéi Robert qui était le Président de la république. Et lorsque je suis arrivé au bureau, j’explique mon rêve à ma collègue. Un jour, cette dernière me trouve au bureau en me disant qu’elle a rencontré la nièce du président Guéi, et qu’elle a pris le numéro de la présidence pour moi. Sur place, j’appelle et je dis « Je veux rencontrer le président, c’est une question de vie ou de mort. Je veux un rendez-vous. » J’ai insisté et mon interlocuteur m’a demandé de venir à la présidence. C’est ainsi que j’ai eu mon audience avec le président de la république. C’était extraordinaire. Donc mon rêve s’est réalisé. Dans la vie, il faut être déterminé. Il ne suffisait pas de rêver et rester couché. Il faut rentrer en action. Si j’étais restée qu’à cela, si je n’avais pas expliqué mon rêve à mon amie, mais mon rêve allait dormir en moi. Il faut avoir cette force de créer son propre bonheur. Et c’est ce que j’ai fait. Mais je savais que j’allais y arriver. J’ai forcé mon destin. Le président m’a reçue, je lui ai exposé mes besoins. Et puis il m’a donné un million. C’est comme si on venait de me remettre 100 millions. Je suis allée dans mon magasin au quartier, j’ai acheté quelques jouets, j’ai même créé une buanderie pour les enfants de l’école.
On peut le dire, vous privilégiez toujours ce que vous voulez faire.
J’ai beaucoup sacrifié. Je n’étais pas porté sur la mode. Quelqu’un qui veut entreprendre ne doit pas se mettre dans ce genre de truc. Tu fais ça, tu tombes. Bientôt je célébrerai les 20 ans de l’école. Donc c’est 20 années de sacrifice. C’est toute mon histoire, toute ma jeunesse, toute ma vie. A mes débuts mon mari disait, « je ne comprends rien en ton école là, il faut fermer, moi je ne veux pas de femme d’affaires. » il ne me voyait pas tout le temps. J’étais criblée de dettes. Donc il n’aimait pas cela. Quel homme aimerait voir sa femme dans de pareilles situations ? Mais je le calmais en disant »tu vois cette année j’ai eu 19 élèves. L’année prochaine si je n’ai pas mieux, je ferme ». Et l’année qui suit, j’avais 36 élèves. Et les années qui suivaient, il reprenait les mêmes menaces. Mais je persévérais. Donc la source de ma force, c’est lui. Chaque année c’était pareil et j’avais toujours des élèves en plus. De 19 élèves à 36, puis 50… et quand j’ai eu 150 élèves, je dis non, je ne peux pas fermer, je suis désolé. Ce n’était pas facile à la maison. Mais aujourd’hui, je lui dis merci parce qu’il a été ma source de motivation, il a été une force pour moi. Le fait qu’il revenait toujours à la charge, sans le savoir, il me donnait la force. Et aujourd’hui, il est fier de moi.
En plus de l’école, vous avez aussi créé une Ong…
L’Ong est née du fait que j’ai toujours eu envie de donner, de partager. Car bien avant la création de l’Ong, nous avons posé plusieurs actions comme le renouvèlement de la peinture du préau du zoo d’Abidjan, la scolarisation de certains enfants… Ensuite je me suis dit, mais pourquoi ne pas créer ma propre Ong, pour aider les autres. C’est ainsi que l’Ong “Mavie”, Maison Africaine de Vie Intérieure pour Enfant, est née en 2010.
Quelles sont les activités de cette ONG?
Nous allons vers les enfants démunis, vers les enfants mineurs à la Maca, vers les veuves. Nous allons vers tout le monde, parce qu’on se dit dans la vie, il faut aider tout le monde. Chaque 25 décembre, nous allons à la Maca pour partager un repas avec les enfants. Des enfants qui pour d’autres ne sont pas forcément des criminels.
Le partage est donc le cœur de votre action…
Oui. L’amour. Beaucoup d’amour. Celui qui n’aime pas ne peut pas avancer. Moi ma force, c’est le partage.
Il y a quelques années, vous avez organisé une activité en hommage à Zadi Zahourou. Quels sont vos liens avec ce grand monsieur ?
Cet homme-là, c’est mon papa. Vous savez, avec mes élèves nous faisons des visites dans les ambassades, surtout à l’ambassade des Etats-Unis où pendant un an ou deux, ce n’était que des conférences sur les grands hommes qui ont marqué l’Amérique. C’est-à-dire Martin Luther King, Abraham Lincoln… Et, ça m’a donné des idées. Celle par exemple de valoriser et faire connaitre les noms qui ont vraiment marqué l’histoire de la Côte d’Ivoire. Pour permettre à nos enfants de les connaître. Notre choix s’est d’abord porté sur Zadi Zahourou. Il a accepté sans hésiter, comme s’il s’y attendait. On a tout préparé, il était vraiment content de cette idée. Lui-même a choisi la date à laquelle la conférence devait se tenir. On a pu organiser la conférence, c’était génial. Mais il est décédé 3 semaines après. Ça été une expérience que je ne pourrai jamais oublier. Il m’a laissé quelque chose. Le gout de l’écriture. J’ai sorti un petit livre pour enfant. C’est une histoire que j’ai montée avec mes propres photos, il est original. Finalement je pensais que ça allait s’arrêter, il y a eu un deuxième : »femme sauvage », Un roman de 200 pages que je prépare. Ce n’est plus pour enfant.
…
Je suis tombée amoureuse de la culture. Et là, je ne m’arrête plus. Donc, il y a »Femme sauvage », il y a »La belle Côte d’Ivoire », il y a »Zadi », je vais faire une série: »Zadi à l’école », »Zadi au village », une collection qui va sortir. Donc depuis son passage, je ne peux plus m’arrêter, quand on parle de culture. Ça rime un peu avec tout ce qui est événementiel. C’est comme ça que “village de rêve” est créé.
“Village de rêve”, qu’est-ce que c’est ?
C’est un gros village que j’ai imaginé, il a y 10 ans. J’ai réfléchi et je me suis dit qu’il faut des jeux gigantesques, des châteaux, des balançoires, la nourriture africaine, un garbadrome, un placalidrome, un allocodrome…tout ce qu’on peut imaginer attraction en Côte d’Ivoire. Je vais faire un Disneyland, mais à ma manière. Ce sera au canal aux bois. Donc j’ai mis un pont en liane, une cascade. Je déporte en fait tout ce que nous avons de beau dans nos régions. Et ce qu’on va faire cette année à la 7ème édition, on veut regrouper ces pays frères qui sont autour de nous. Pour que ces enfants-là viennent partager avec les autres enfants. Et montrer ce qu’ils font aussi dans leurs pays. Aujourd’hui on voit les guerres par-ci, par-là. Qu’est-ce qu’on veut laisser à nos enfants ? Nous les fondateurs nous avons notre part de responsabilité. Ce n’est pas parce qu’on construit les écoles qu’on doit rester les bras croisés. Il faut orienter les enfants. Il faut leur donner de la valeur. Les parents ont démissionné ; quelques enseignants même ont démissionné. Je profite pour lancer ce message à tout le corps enseignant. Ils ont quelque chose à apporter. Notre Côte-d’Ivoire est un beau pays. Qu’on se mette ensemble, qu’on se mette au travail pour qu’on puisse réaliser ce que nous avons de beau. Et c’est maintenant qu’il faut aider nos enfants.
Quelle est la place du sport dans votre vie ?
J’adore le sport. Je suis inscrite dans une salle où tous les soirs je l’exerce. Ça me fait du bien. Je fais de la natation, de la danse, la marche. Quand tu bouges beaucoup il faut prendre soin de soi. Il faut donner envie aux gens de te ressembler.
Pour finir, quels sont vos projets à court, moyen ou long terme ?
Le projet à court terme, c’est la construction du collège Zadi Zaourou. A moyen terme, c’est la construction d’un lycée sur la route de Bingerville. Et à long terme, la construction de l’université Zadi Zaourou qui va permettre aux enfants d’apprendre la culture. On ira aller chercher les talents et les former. On a beaucoup à faire en Côte d’Ivoire, et pour la Côte d’Ivoire.
H.POOSSON ©2015