Les récriminations contre les médecins (notamment les sages-femmes), on connaît. Tout comme elle imagine un enfant idéal, toute femme enceinte imagine son accouchement. Contractions, poussées, naissance du bébé : un scénario ancré dans notre imaginaire collectif. Un schéma auquel la future mère se prépare… et que vient chambouler une césarienne. Alors que le bébé dort dans son berceau, image de la vie, certaines mères éprouvent des difficultés à faire ce travail de deuil : celui d’un « vrai » accouchement.
L’image telle que Léocadie (un nom d’emprunt, Ndlr), nous le décrit est frappante : un bloc opératoire froid, un mari patientant dans le couloir, un champ opératoire frappé de lumière qui coupe la maman de son bébé, les bras parfois attachés en croix… « En tout cas, jusqu’à ce jour, trois ans après, j’ai toujours cette impression d’avoir subi une intervention chirurgicale du genre contre une appendicite et non d’avoir accouché», résume-t-elle dans nos échanges via Facebook.
La césarienne – car c’est d’elle qu’il s’agit – est la signature la plus marquante d’un accouchement difficile. C’est du moins la certitude de ces femmes qui ont vécu des grossesses et accouchements difficiles: césariennes d’urgence, fausses couches, allégations de mauvais traitement de la part du personnel médical, etc. Selon elles, contrairement aux scandales qui fusent parfois dans les journaux, beaucoup de femmes hésitent encore à parler de ce qu’elles ont enduré dans les salles d’accouchement, notamment lors des césariennes et autres fausses couches. Certaines, psychologiquement plus fragiles, vivent même la ‘’simple’’ césarienne comme une violence charnelle. « J’ai accouché par césarienne en urgence, et plusieurs mois après, j’éprouve toujours un sentiment d’échec et de culpabilité. Je ne l’explique pas, car le bébé et moi allons très bien », confie une internaute sur un forum spécialisé. Un sentiment que la plupart des mamans qui n’ont pas l’occasion de parler de leur accouchement traumatisant semblent vivre.
« L’essentiel est que toi et le bébé aillent bien »
A les écouter, la plupart des femmes qui ont subi ces moments traumatisants éprouvent toujours un manque qu’elles n’arrivent pas à identifier. Et l’entourage qui n’a pas les armes pour comprendre vraiment la situation a souvent tendance à leur répéter : «L’essentiel, c’est que toi et le bébé aillent bien». Ce qui pousse ces mères à occulter leur ressenti, ce qui génère un sentiment d’isolement et conduit à la dépression, mettent en garde les spécialistes. Et ce désarroi intérieur et muet peut submerger les parents et avoir des conséquences durables sur leur famille. Il faut comprendre : la grossesse, ce n’est pas qu’un bébé. C’est tout une expérience intérieure. Et l’accouchement arrive comme le résumé de cette expérience intérieure. Il est l’accomplissement d’une capacité à enfanter, pressentie dès petite fille, apprend-on des spécialistes du sujet. Or, la césarienne prive de cette expérience, laissant, chez certaines mères, un vide, une blessure narcissique difficile à guérir. «Pourquoi ai-je échoué là où la majorité des femmes réussissent ? », s’interroge Virginie, rencontrée sur un forum débattant de la question de l’accouchement difficile. En acceptant de nous dire leur ‘’douleur intérieure’’, nombreux sont les messages où s’exprime ce sentiment d’échec, parfois même de colère vis-à-vis d’un corps qui s’est dérobé. Un col qui est resté «fermé» ; un bassin trop «étroit» ; des contractions «inefficaces» : voici les mots qui soulignent ce qui est vécu par les mamans comme une ‘’trahison’’ du corps. Un corps auquel est venu se substituer un acte qui, s’il est aujourd’hui banalisé, n’en reste pas moins un acte chirurgical qui stigmatise physiquement – et psychiquement. Un premier accro à l’image de mère
« Je ne me sentais pas mère », écrit Solène. Certaines mamans éprouvent et vivent le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur vis-à-vis de leur bébé. Et certaines même, de lui avoir ‘’volé’’ sa naissance !
Culpabilité et regrets au rendez-vous
Sous cette difficulté, se terre généralement un profond sentiment de culpabilité. Culpabilité de ne pas avoir offert à son bébé une naissance douce et naturelle. De l’avoir fait souffrir. De ne pas lui avoir offert ce moment de peau-à-peau, cette première tétée sur lesquels on insiste tant aujourd’hui. Culpabilité également vis-à-vis de leur compagnon, qu’elles ont privé de ce moment de la naissance. Regret enfin d’avoir manqué leur première rencontre. « Lors de l’accouchement, la maman éprouve ce besoin viscéral de rencontrer son bébé, par l’odeur, l’ouïe, le toucher, le regard. Lorsqu’il y a un délai, il y a un vide. Quelques heures après, ce n’est plus le même moment…», déplore Brigitte Mytnik, une psychologue. Ce laps de temps entrave parfois la création du lien mère-enfant, comme en témoigne Virginie : « J’ai mis très longtemps à établir une relation de mère à fille. Je pense que la césarienne et la séparation m’ont empêché de faire la transition entre ma grossesse et ma maternité… J’ai dû « me forcer » à devenir maman ». Au demeurant, donner la parole à ces femmes et les écouter avec intérêt aura donné à la plupart d’entre elles, le sentiment d’être valorisée et de se sentir moins seules. La plupart ayant l’impression qu’ à défaut d’un scandale bruyant à faire les choux gras des médias, elles sont réduites au silence, le fait d’en parler hors scandale à un journaliste est source de réconfort pour elles. Même si, curieusement, toutes – comme si elles s’étaient passées le mot –. Ont choisi la « discrétion ».
1/ Nadine V. (Commerçante, 34 ans) : « J’ai eu tort… »

« Avant ce jour-là, je n’avais aucune idée de ce qu’était un accouchement. Je ne savais pas que j’allais regretter la présence de personnes en qui j’avais pourtant confiance. Je ne savais pas que j’avais le droit, en tant que femme, de prendre mes propres décisions. J’avais besoin des encouragements de ma sage-femme. Je me suis sentie seule, et très faible, dans cet hôpital. J’ai eu l’impression, et je l’ai toujours d’ailleurs, d’être une incapable, quoi ! Même en évoquant cela aujourd’hui (cela fait deux ans, Ndlr), j’ai toujours le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur, d’être la responsable de la mort de ma fille. J’ai failli accoucher à la maison, j’ai tout fait pour me retrouver à l’hôpital parce que je me disais que là-bas, ce serait plus sûr, mais j’ai eu tort. On m’a laissée pousser seule… L’enfant n’a pas tenu ».
2/Georgette C. (Infirmière, 37 ans) : « Elles ont gâché mon accouchement »

« Étant moi-même infirmière, je n’avais aucune raison de ne pas faire confiance au médecin et à ses recommandations. Mais dans l’heure qui a suivi mon arrivée à l’hôpital, alors que j’étais en plein travail, les interventions superflues des sages-femmes et du médecin de service ont fait tourner au cauchemar un travail qui avait pourtant commencé dans le calme et la sérénité. Résultat, je me suis retrouvée à accoucher par césarienne. J’ai ensuite entendu les sages-femmes dire qu’elles ont gâché mon accouchement qui aurait pu se faire par voie basse, mais que c’est pas grave, ce sont des choses qui arrivent…J’en ai parlé à mon mari très croyant qui a décidé qu’on laisse à Dieu. Mais plus d’un an après, c’est dure pour moi »
3/ Fanta O (Assistante de direction dans une entreprise privé) : «Un vagin trop adipeux ! »
« Moi, cela fait 11 mois que j’ai accouché par césarienne. Ce soir-là, alors que je me sentais bien et que tout se déroulait tout aussi bien, je me suis entendu dire qu’à cause de mon poids (elle est de toute évidence en surpoids, Ndlr), il faut une césarienne… et la plus jeune apparemment des sages-femmes qui s’occupaient de moi me balance que ma ‘’voie basse’’ (allusion à son vagin, Ndlr), était trop adipeux pour donner naissance à mon bébé ! Vous imaginez la honte, ma honte ! Ce n’est pas du tout facile, je crois qu’il serait intéressant qu’on place des caméras dans les salles d’accouchement, pour voir ce qui se passe… »
4/Gisèle W. (Styliste-modéliste, 39 ans) : « Il cherche mon col de l’utérus »
« J’étais à ma deuxième grossesse et j’attendais une fille selon les échographie. Tous les examens étaient favorables. Et ainsi, tout au long de ma grossesse, je m’étais préparée à une naissance naturelle. Mais à la 37ème semaine, j’ai subi un examen vaginal. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais mon gynécologue obstétricien a cherché en vain, et sans ménagement, mon col de l’utérus. Et puis, sa main encore en moi, il m’a dit : ‘’Tu sais qu’on va devoir te faire une césarienne ?’’… (Elle éclate en sanglot et met fin à l’entretien, Ndlr) »
5/Ouattara M. (Commerciale, 41ans) : « Accouchement forcé par voie basse »
« Franchement, pour mon dernier accouchement il y a trois ans, je le dis partout, le personnel médical ne m’a pas traitée avec le respect que j’attendais. Médecins comme sages-femmes, personne n’a tenu aucun compte des informations relatives à ma propre santé ! On devrait privilégier l’accouchement naturel pour les mères en bonne santé dont la grossesse s’est bien passée et non les y forcer. Le fait de m’écouter un tant soit peu et de me dire que je connaissais mon corps et mes antécédents médicaux m’aurait épargné le traumatisme qu’a fini par représenter un accouchement forcé par voie basse déjà terrifiant pour moi. Au lieu de ça, un médecin incompétent et irrespectueux m’a ‘aidée” à souffrir sur deux jour avant de donner naissance à un mort-né »
6/Marie-Bernard T (Enseignante, 45 ans) : « Ils m’ont abîmée »
« Ce jour-là, dans la salle, je ne savais plus où j’étais, je n’étais pas au courant de leurs habitudes, du protocole ni de la façon dont les choses fonctionnaient au service des soins intensifs néonatals où ils ont amené ma fille qui venait de naître. J’ai commencé à me sentir exclue, parce qu’on ne m’a rien dit. J’étais arrivée toute heureuse à la maternité. J’en suis ressortie avec un sentiment de vide et de défaite, avec un bébé en danger de mort. Et qui mourra après. J’avais échoué sur toute la ligne et j’en souffre encore, même aujourd’hui, deux ans après. En fait, quand on se sent aussi vulnérable, sans rien contrôler ni pouvoir agir, on s’en sort soit très bien, soit très mal. J’aimerais tellement que les médecins et les sages-femmes surtout comprennent à quel point un simple mot, un geste — ou le fait de n’en faire aucun — change tout. C’est le corps, le bébé, la vie de quelqu’un, et il faut que tout cela compte. Moi, ils m’ont abîmée à tout jamais. »
Kédira D. (Accessoiriste de mode, 38 ans) : « Une leçon… »
« Moi, avec trois enfants dont le dernier a trois ans, j’ai retenu une grosse leçon : vous pouvez être reconnaissante et ravie d’avoir un bébé en bonne santé, tout en restant totalement traumatisée par votre accouchement. Ce sont deux choses entièrement différentes, mais pas incompatibles. Et je crois que nous sommes nombreuses dans ce cas»
Ce que nous retenons
Même lorsque leur accouchement ne se déroule pas exactement comme prévu, les femmes qui « vont en accouchement» vivent une expérience nettement plus heureuse quand elles se sentent respectées et soutenues par l’équipe qui les reçoit et/ou les accompagne. Celles d’entre les médecins et sages-femmes qui les entourent à ce moment-là devraient se rappeler qu’une naissance n’arrive pas seule. La façon dont on traite une femme au cours de la grossesse, de l’accouchement et au début de la maternité a des conséquences durables, autant sur les mères que sur leur famille toute entière. Si traumatisme il y a au cours de l’accouchement, il vient principalement de la façon dont on considère et traite les femmes et non de la manière dont l’accouchement se déroule. Peut-être que si le personnel médical prenait conscience de cela, il accorderait aux soins de grossesse et d’accouchement tout le sérieux qu’ils exigent.