Longtemps restés dans l’ombre, les beatmakers du Biama jouent un rôle clé dans la structuration de ce style musical dérivé du coupé-décalé. En studio, ils façonnent les rythmes et propulsent les nouveaux talents sur le devant de la scène. Rencontre avec deux figures emblématiques : Ben à la Prod et Nyke on the Track, artisans sonores d’un genre encore méconnu mais en pleine explosion.
À l’époque du règne des maquis-restos dans les banlieues abidjanaises, on parlait de la Jet Set, de Douk Saga, de Boro Sanguy ou encore de Molaré, grandes figures du coupé-décalé. Mais aujourd’hui, c’est un nouveau courant musical qui émerge : le Biama. Un style porté par des chanteurs et danseurs mais façonné dans l’ombre par des beatmakers, véritables architectes du son.
Des créateurs méconnus mais essentiels

Appelés arrangeurs ou beatmakers, ces professionnels de la musique manipulent les boucles instrumentales et les rythmes pour donner vie à un genre longtemps sous-estimé. Leur rôle ? Créer les fondations sonores sur lesquelles s’appuient les artistes. « L’arrangeur a les notes pour captiver le public », affirme Ben à la Prod, l’un des artisans incontournables du Biama.
Installé à Yopougon, quartier Toit Rouge, Ouattara Ben Mustapha – alias Ben à la Prod – est pianiste de formation. Il revendique plus de 500 titres à son actif, dont de nombreux succès dans le Biama. Pourtant, il tient à souligner sa polyvalence : « À force de faire des instrus pour le Biama, on m’identifie uniquement à ce style. Pourtant, je touche à tout ! »
Une Success-story née d’une débrouille
Comme beaucoup, Ben a démarré en produisant des beats gratuitement, avant de professionnaliser son activité : « Des amis m’ont conseillé de trouver un label pour être reconnu. Depuis, je travaille de manière plus structurée. » Son dernier coup d’éclat : le hit Le Bébé, de Kadyrov Mania (Team de Poy), en featuring avec Jolina Verdugo. « Kadyrov avait déjà la danse. Il est arrivé au studio, a écouté un beat que j’avais préparé la veille…Et paf, il a posé dessus ! Depuis, c’est devenu un incontournable ! »
Des relais encore insuffisants
Malgré leur rôle crucial, les beatmakers peinent à exister médiatiquement. Ben espère un meilleur soutien des DJs, qu’il considère comme les premières vitrines du Biama : « On voit les résultats sur les réseaux sociaux. Les gens dansent sur nos beats. Mais dans les maquis et les bars, nos sons ne sont pas toujours diffusés. On a besoin de la bonne foi des DJs. »
Nyke on the Track : de l’église au studio
Autre figure montante : Nyke on the Track, de son vrai nom Yobouet Kouassi Emmanuel. Fils de pasteur, formé à l’INSAAC, il est élu Meilleur Arrangeur au PRIMUD 2025. Il a collaboré avec Roma Chihaya, Ramsès Tikaya, Dydy Yeman ou encore Ariel Sheney. « C’est à l’église que l’amour de la musique est né. J’ai commencé avec des artistes connus, puis je me suis tourné vers les jeunes talents. C’est ça qui a donné un coup de pouce au Biama. »
Beatmaker, un décorateur sonore
Dans son studio, Nyke reçoit chaque jour des jeunes artistes. Il voit son métier comme un travail d’orfèvre sonore : « Le beatmaker, c’est le chef des effets spéciaux du son. Il crée le décor dans lequel les artistes évoluent.» Son défi : faire éclore les talents de demain. « J’aime travailler avec des artistes pas encore connus. C’est eux qui font mes meilleurs hits. Je m’intéresse à leur vision, à leur philosophie. »
Le Biama cherche encore sa place officielle
Malgré sa montée en puissance indéniable, le Biama ne figure toujours pas dans le répertoire officiel du Ministère de la Culture. Les genres reconnus restent le Zouglou, le Rap Ivoire, le Coupé-décalé, le Mapouka et les musiques traditionnelles.
Pourtant, sur le terrain, l’engouement du public est visible. Depuis février 2025, un festival Biama se tient chaque mercredi à Yopougon Toit Rouge. Un rendez-vous hebdomadaire qui rassemble jeunes chorégraphes et artistes autour de divers challenges, notamment autour des thèmes comme le civisme routier.
Une reconnaissance encore à conquérir
« Le Biama était négligé, mais aujourd’hui certains artistes voyagent, font des scènes internationales », rappelle Nyke. « Si vous aimez le beatmaking, foncez. Faites des recherches. Ne comptez pas seulement sur les artistes confirmés qui ont déjà leurs beatmakers. », conseille-t-il.
Quoiqu’il en soit, le constat est là : dans l’ombre, les artisans du Biama continuent de battre, façonner le fer du Biama pour fabriquer des tubes de demain. Et ce style, enfant du coupé-décalé, poursuit sa mue, grâce à ces créateurs passionnés, souvent invisibles, mais indispensables. Comme pour dire qu’ils restent l’ombre qui donne tout son éclat à la lumière du Biama.
Bekanty N’ko